L’Homme de Cro-Magnon

 

Participation à un concours universitaire de nouvelle en 2004

« Le ridicule est une expression de soi originale »

F. Ménez

Les rues étaient encore désertes en cette douce nuit d’automne. On entendait à peine le clic-clac de l’horloge municipale. Les habitants de Rexweather s’étaient jetés à yeux ouverts devant leur écran de télévision, au regard d’une émission bonne à produire des cerveaux en compote, après une journée à se faire sucer la moitié du peu de neurones qui circulaient comme des fantômes entre deux toiles d’araignées accrochées au plafond…

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***

*

Comme tous les matins, Craig Hergmann faisait son jogging – accompagné de son fidèle Rembrandt – dans le grand parc du Meastweaver. Les senteurs du matin vinrent lui titiller les narines. Il respira à pleins poumons un peu de cette fraîcheur matinale.

Il s’arrêta devant le Mausolée des Félins le temps de reprendre son souffle. Le monument funéraire, en forme de pyramide, donnait de l’amplitude avec à sa pointe une colonne sur laquelle reposait un lion de grande élégance. Au sud du mausolée, se trouvait une sculpture de marbre rose à l’effigie de Weaver. Selon la légende, Saint Rexweather, patron et protecteur des félidés, aurait fondé la ville qui porte son nom en 1482. Rexweather avait la particularité d’accueillir tous les félins. Quant à Weaver, il s’agissait du premier résident : un chat siamois d’une grande beauté. La légende raconte que Saint Rexweather lui aurait confié les clés de la ville pour l’éternité… Aujourd’hui, la ville de Rexweather rend hommage aux quelques mammifères carnivores digitigrades par le biais du Mausolée. De plus le parc – trente-deux hectares environ – leur est dédié. Certains – ceux qui sont génétiquement modifiés – peuvent y circuler librement depuis 2012, année de la découverte des gènes responsables de leur instinct primitif – agressivité, etc.

Seuls les chats et autres félidés d’illustres personnages de la haute société demeuraient dans le Mausolée comme des pharaons. On pouvait ainsi y trouver Benny Roosevelt – le guépard du maire – ou encore Jimmy – le chat de l’acteur Dominic Hoyle. Chacun d’entre eux avait sa petite case-visiophone personnalisée. Ce Mausolée était un vrai bijou de fraîches technologies. D’ailleurs, Craig Hergmann restait à chaque fois en admiration devant un tel édifice haut de cinq mètres. Mais ce à quoi servait toute cette technologie lui restait un grand mystère !

De retour dans son appartement situé au deuxième étage de la résidence Les Capucins, Craig Hergmann prit une bonne douche. Puis il s’occupa de son ami. Après une toilette bien méritée, Rembrandt réclama sa pâtée. Au menu : un steak cuit à point trempé dans une délicieuse sauce bolognaise accompagné d’un zeste de citron et d’une pincée d’herbes de Provence… Ah, il adorait ça ! Il s’en léchait d’avance les babines ! Craig ne donnait pas n’importe quoi à manger à son petit trésor. D’ailleurs, ce dernier festoyait dans du grand luxe ! De plus, il avait une vue imprenable sur le Mausolée des Félins qui dominait le parc Meastweaver.

Tout en donnant à manger à Rembrandt, Craig lui parlait : « Tiens mon nounou, régale toi… ! ». Plus tard, après que son fidèle compagnon eut fini son repas, Craig lui insuffla au creux de l’oreille : « Alors, qui va aller avec papa faire une petite ballade en forêt !

– Miaououou…

– Oh mon gros minou ! Viens là, que je te prenne dans mes bras ! Oh, mais laisse moi voir, tu as abîmé ton super pull que j’ai tricoté rien que pour toi (il posa son chat par terre) ! Papa n’est pas content…

– Mmmmmmmm…

– Combien de fois t’ai-je dis de ne pas te rouler par terre ! C’est quoi ces manières ! Si c’est comme ça, j’irais tout seul à la forêt…

– Mmmmmmmm…

– Oh, viens là que je te câline mon nounou ! Tu sais très bien que je te taquine ! Grrrrr… attends que je t’attrape. Dit-t-il en chatouillant son chartreux sur le ventre et en le gigotant dans tous les sens…

Ah, si vous saviez tout l’amour que portait Craig pour cette petite boule de poils couleur gris cendrés… C’était sa pu puce, son univers

Un jour, avide de nouveauté, Rembrandt se promena tout seul dans les rues agitées de la ville. Une fois n’est pas coutume, la porte d’entrée était restée grande ouverte… Il dévala ainsi les escaliers qui le menèrent sur la cour intérieure. Il prit tout de suite la ruelle Washington à gauche au niveau de la boucherie Verdon ! Il remonta ensuite le long de l’avenue De Gaulle, chevauchant à vive allure les rues qui s’y noyaient comme des petits ruisseaux dans un fleuve !

Huuuuuuuuuu… Brusque coup de freinage, la Chrysler Alligator décapotable modèle 2009, aux lignes féminines et sauvages, faucha un objet volant non identifié au coin de la rue Vivaldi, à deux pas de la Poste. En fait, le chauffeur pensait avoir heurté une espèce de bonbonne de laine toute rose. Il continua donc sa route sans y prêter guère d’attention.

« Chouchou, où es tu, c’est l’heure de ton shampoing ! N’aies pas peur. Si tu es sage, papa te préparera une bonne pâtée ! » Craig chercha partout avec désespoir ! Imaginant le pire… Une connerie qui s’installa dans son inconscient. Mais où était-il donc passé ? Il ne pouvait pas être très loin.

L’appartement est toujours fermé à clé et jamais Rembrandt n’aurait osé s’aventurer tout seul dehors dans cette jungle-fourmillière. Pensa t-il inquiet.

Une angoisse s’empara peu à peu du réseau de ses pensées…

L’heure qui suivit le tragique accident, Mme Carter – une vieille dame vivant seule avec ses chats, dite Catwoman – sonna à la porte. « Bonjour Mr Hergmann, j’ai une terrible nouvelle à vous annoncer ! J’espère mon petit que vous avez les nerfs solides… Il se trouve que votre chat…  ». Sa voisine de palier repris son souffle. Dans l’ombre en silence, Craig et Mme Carter échangèrent des regards d’angoisse. Catwoman, peu à l’aise, lâcha le morceau : « Je ne sais pas comment vous l’annoncer. Il vaut mieux que vous alliez vous asseoir…! Rembrandt est mort … ». Craig, pris de douleur, arracha ses tripes et cria jusqu’à extinction de voix : « Mon mon mon mon rem rem Rembrandt ! Nonnonnonnonnon ». Craig était comme un mort-vivant, aussi sec qu’un saucisson. Son corps tombait en larmes. Il venait de perdre un ami.

Cinq jours suffirent pour que Craig Hergmann se résigne à déclarer le décès de son chartreux chez le vétérinaire. Ce dernier lui remit un document lui donnant le droit d’incinérer son chat.

Ensuite, il prit le chemin du funérarium, aux abords de Rexweaver. Là, on lui remit les cendres de son feu ami, ainsi qu’une clé optique avec l’avis de décès et le code d’incinération – 1258-MPI-25 137 76 M – intégrés.

Craig, usé par le chagrin, se rendit au Centre National Post-mortem Virtuelle et Féline de Rexweather. Il attendit un bon quart d’heure, dans une file d’attente, avant de se trouver nez à nez avec un cybergarde virtuel : un visiophone sans âme qui lui adressa la parole : « Bonjour ! Bienvenue au CENAPOVI. Je suis 5-GRT-PO25 à votre service. Veuillez vous identifier s’il vous plaît ! ». Hergmann inséra sa clé d’identification : une puce microélectronique PURED greffée au bout de l’index de sa main droite. Puis il attendit six secondes avant d’avoir son numéro d’attribution – YT1256-25 – pour rejoindre un guichet.

Il se trouva nez à nez avec un cyberconseiller. Ce dernier lui demanda de manière enjouée toute la paperasserie nécessaire à l’enregistrement du décès de son chartreux : l’avis de décès, le carnet de naissance et de vaccins sur lequel figure notamment le numéro d’identité du maître, et autres papier inutiles…

On lui remit un nouveau numéro pour accéder à une borne : 142ML. Il y inséra sa clé optique. On lui proposa trois solutions : le Mausolée des Félins, le cimetière virtuel ou une visiophoto. Il lut attentivement la première proposition…

Mausolée des Félins:
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Le regard plongé dans l’écran, il s’abandonna, le cœur en circonflexe. Ce n’est pas avec son salaire de misère qu’il pouvait se permettre un tel luxe ! « Ce n’est pas étonnant qu’on ne retrouve que des félins de célébrités dans ce mausolée », Marmonna t-il devant la borne holographique. Il passa au suivant, le coude posé sur le rebord ; la main sur le front, l’air abattu…

Cimetière virtuel :
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Des gouttes de sueurs se battaient sur son front. Ses mains argiles étaient moites ! Il était fatigué, usé par les prix exorbitants… Il tremblait de tout son être. Il ne faisait plus qu’un avec les battements de son cœur. Il était aux bords des larmes, accroché au doux souvenir d’une caresse féline. Il trempa ensuite ses larmes au regard d’une photo qu’il sortit comme pour être en communion avec son feu chartreux. Les gens compatissaient. D’ailleurs, une vieille dame qui venait de perdre son chat s’approcha de lui et lui insuffla : « N’ayez crainte, votre cœur se souviendra toujours de lui comme une douce mélodie ». Il la remercia pour son soutien. Il posa un instant ses souvenirs au grenier de sa mémoire. Il n’entendait plus que le clic-clac de l’horloge municipale. Il ne voyait plus que l’hiver installer ses troupes sur un manteau de fourrure. Il ne sentait plus que l’odeur de son chartreux lui titiller les narines. Puis, il se décida enfin à affronter l’ultime proposition.

Visiophoto :
> Principe : Il s’agit d’une photo tridimensionnelle qui donne l’illusion d’un film d’animation spatial. Cette visiophoto est créée à partir d’archives diverses : photos, vidéos entre autres.
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Il fit son choix… et parti déçu de cette aventure administrative qui ne profitait qu’aux riches ! Le marché des noces funèbres était en pleine expansion malgré des prix exorbitants sous le regard assoiffé des loups de l’économie locale. Mais l’amour pour un animal n’a pas de prix pour les plus fortunés…

C’était le jour des funérailles. Beaucoup de monde y assista: Catwoman, ses chats et Craig. Ce dernier dispersa les cendres de Rembrandt, le soir, à l’abri des regards indiscrets pour un ultime hommage. Il revêtit une sorte de tenue de cérémonie! Puis, il fit un long discours à la mémoire de son plus fidèle compagnon : « Nous avons passé de bons moments ensemble dans les bois, mon ami. Tu avais si fière allure quand tu galopais à travers bois et champ. Je me souviens de ces longues soirées d’hiver où tu venais me réchauffer de tes petits poils gris cendrés et soyeux. Je ne t’oublierai jamais. Ce n’est qu’un au revoir ! » Ces larmes fondaient au fond de son âme…« Je t’aime si fort ! ». Il serra contre lui une visiophoto sur laquelle reposait le portrait de son adorable Rembrandt sous son plus bel habit…« Adieu l’ami, repose enfin en paix ! »

Une année passa pendant laquelle Craig pensait à Rembrandt. Son odeur empruntait encore l’appartement de son parfum de jasmin. Certaines personnes trouvent que c’est ridicule de porter autant d’amour pour un animal car on tend ainsi à l’humaniser… Disons, pour ma part, qu’il y a des limites à ne pas franchir. Un chat reste un chat. Chacun à sa place ! Cependant, ceci ne remet pas en cause l’« amitié » qui peut exister entre un animal et son maître…

Un jour, tard dans la nuit, Craig se promena seul, avalé par ses pensées. Il empruntait diverses ruelles à la lueur de la blanche Lune. Et là, ce fut le coup de foudre ! Un mètre vingt de haut, une belle chevelure couleur feu… Elle s’appelait Roxane. Son cœur bâtait à vive allure. Elle était là, en train de fouiller les poubelles derrière un restaurant pour y trouver de quoi se nourrir (supposa t-il) ! Il s’approcha lentement afin de ne pas l’effrayer. Tout doucement, à pas de souris. Elle était si belle, belle comme un coucher de soleil épousant le corps de la Terre ! C’est avec délicatesse et sans nulle mesure que cette dernière fouina dans les poubelles… Craig était à deux doigts de croiser son fauve regard. Et là, pas de chance, elle s’enfuyait dans l’ombre des sombres ruelles. Sa silhouette fondait dans l’obscurité. Trop tard, elle était à des lieues de lui. Il courut pour la rattraper, mais en vain, son ombre s’était évanouie dans le manteau de la nuit…

Toute la nuit durant, il pensa à cette rencontre, cet ange venu du ciel…

Deux jours plus tard, la même Roxane explora des containers, à deux pâtés de maisons de chez lui… Cela faisait un an que son fidèle Rembrandt avait disparu dans de terribles circonstances. Et là, depuis cette rencontre inopportune, il avait retrouvé le sourire, l’espoir d’un nouvel amour. Son visage respirait enfin. Voilà un an qu’il n’avait pas chassé, un an où le guerrier qu’il était s’était endormi à jamais dans les méandres du passé. Il reprenait enfin goût à la vie ! Sa seule obsession, maintenant, était de conquérir la belle et sculpturale Roxane…

Craig passa la plupart de son temps à traverser les ruelles désertes de la ville à la recherche de son amour ! Il finissait par connaître tous les endroits où la Donzelle se promenait le soir…

Au bout de quinze périlleux jours, il finit par apprivoiser la Donzelle en lui proposant à bout de bras de quoi manger… et les jours suivant la belle s’approchait moins timidement de Craig. Ils finirent par se lier d’amitié… Craig adopta aussitôt Roxane. Dès le début, elle lui lécha le visage avec une certaine tendresse… La belle Roxane était en fait une tigresse de Bengale d’une rare beauté, laquelle avait été malheureusement abandonnée depuis longtemps par ses maîtres. Cela pouvait expliquer son comportement fuyant et timide envers les hommes.

Craig se sentit pousser des ailes. C’était l’apothéose… Il baptisa sa nouvelle compagne : Manouk. Ceci en hommage à la déesse Nawha’ski : un corps de femme aux formes parfaites à tête de tigre. Autrefois, les Anciens l’honorait pour ses multiples facettes : ceux de la beauté, de la naissance et de la fertilité. Enfin, aujourd’hui cette rencontre effaça la morsure du temps qui s’était allumée dans le passé…

Un matin, avant que l’aurore ne se dessine dans le ciel austral, il fit son jogging en compagnie de Manouk.

Il la dressait durement pendant des mois pour qu’elle devienne la campagne idéale et une véritable chasseuse… tout comme son prédécesseur et impressionnant chat …

Il se montrait avec fierté en laisse avec sa douce. Les gens autour de lui le trouvaient plutôt ridicule ainsi que sa tigresse : c’est peut-être son chapeau en plumes de canard ou alors cette espèce de dalmatique verte – un costume de carnaval ! – que tout bon chasseur se doit de porter. Cependant, d’autres avaient l’esprit un peu plus large: en l’occurrence les jeunes. Il faut dire ce qui est, mais les anciens ne comprennent rien à la nouvelle mode, aux nouvelles tendances. Les jeunes quant à eux flairent mieux ce qui est fun et Craig était fun à leurs yeux. Sa tigresse n’en parlons pas – méconnaissable : une guirlande ambulante. J’aurais honte de me promener avec cette chose. Il faut l’avouer.

Craig se hâta en direction de la forêt de Brocélia en compagnie de sa dulcinée (mais non pas sa nouvelle petite amie, sa tigresse !), là où les attendaient avec impatience les journalistes de la chaîne locale – CNA1.

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Quelque part dans le grand nord, dans la province de Frany –une des vingt provinces que compte aujourd’hui l’Europe unifiée.

Un soir, je suis rentré un peu plus tard que prévu du boulot. Il devait être environ dix heures du soir.

J’avais du mal à trouver le sommeil. Ma femme Manon, un peu étourdie, prépara un café dans la cuisine. Elle me rejoignit aussitôt dans le salon. J’étais affalé sur le canapé où jouxtait une pile de magazines éparpillés sur la table basse.

A tout hasard, j’allumai la télé. Tout en racontant ma folle journée à Manon, je zappai d’une chaîne à l’autre. Tout à coup je tombai sur une chaîne ma foi comique: à en croire le déguisement burlesque que portait l’un des protagonistes ! Ha non ! Apparemment c’était une émission : « Nature et Découverte » dans laquelle on parlait uniquement de chasse. L’homme était vêtu assez bizarrement. Indescriptible… ! Je plongeai corps et âme dans le fossé hertzien. Ma femme posa sa tête contre mon épaule. Et c’était parti pour une soirée formidable… !

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« Nature et Découverte », reportage préparé par les journalistes Erwan Le Du et Gwenaëlle Goyen

Un jour de chasse pas comme les autres. Craig Hergmann prie le ciel pour que la chasse soit bonne. Il porte un costume nayo-germanique. Il se tortille comme un prédateur se préparant à la chasse… Il gesticule ainsi dans tous les sens.

Faisons un zoom sur ce chasseur des temps anciens!

Chut, il se concentre. La chasse, c’est du sérieux. Quant à sa tigresse, elle est habillée (et non déguisée !) d’une sorte de kax-wan. L’homme de Cro-magnon est un chasseur – un vrai et il s’en défend – de gros gibier, nostalgique des chasses à l’ancienne.

L’homme de Cro-Magnon est un des derniers chasseurs de sa génération. Il perpétue les anciennes traditions…

– D’où vous vient ce besoin de chasser… ?

– Ben tu vois ! Tu permets que je te tutoie ! C’est comme ça quoi… !

– Bien sûr !

– Ben tu vois mon père était chasseur ! Mon grand-père était chasseur…

– La chasse est donc une affaire de famille !

– Ouais !

La chasse est un sport que revendiquent de nombreux chasseurs. Il y a tout un rituel à suivre. Ce n’est pas si facile que ça en a l’air. Suivons-le. Cela promet d’être intéressant. Ils ne sont plus qu’une douzaine à pratiquer cette chasse à travers toute la France. L’homme de Cro-Magnon dit « le Général » est suivi de toute sa troupe dans les confins de la forêt. On va bientôt passer à côté d’un refuge où les chasseurs vont se préparer mentalement pour la chasse. Le Général fond en larmes. Apparemment, c’est ici qu’il venait souvent chasser avec son chartreux (ma foi grand prédateur !) : séquence émotion !

On va les laisser se concentrer, le temps de respirer à pleins poumons les senteurs de la forêt qui se dévoilent.

Ha, je vois que le Général allume un feu de bois après avoir endosser une drôle de tenue : une fauve fourrure laquelle est cousue de différents rongeurs. D’ailleurs, il s’est aussi maquillé de manière saugrenue – un style sioux, je crois. Impressionnant ! Maintenant, ils tournent autour du feu lançant au ciel du Samska – une poudre censée conjurer le mauvais sort. Ceci ressemble à s’y méprendre à une danse de Nawha’ski – tribu sauvage vivant dans le Sud-Est de la Chine. Ces derniers dansent autour du feu pour rendre hommage à la nature…

Je m’approche de l’homme de Cro-Magnon, lequel tient à sa main gauche une maznak – une sorte de lance.

– Vous mettez toujours ces peaux d’animaux sauvages sur vous !

– Oui, je respire mieux mon ennemi et elles me donnent assez de courage pour me battre… Tu vois, la chasse c’est emprunter à la nature ! Il s’agit d’un combat !

– Vous n’avez pas peur de défier la nature… ?

– Non, mon gars… ! 

La fin de la journée s’annonce. Ils n’ont chassé que trois innocents petits canards. Une bonne chasse selon le Général. Ils dépècent la volaille, affichant fièrement leur proie ! Et, ils boivent le yan-kê en honneur du dieu de la chasse : Kés’wa.

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Frany : une province ma foi forte sympathique !

Après la diffusion du reportage de « Nature et Découverte », un autre monde s’est ouvert à mes yeux d’enfant. Jamais, au grand jamais, je n’avais vu pareille mascarade. Journaliste depuis plus de quinze ans dans la province de Frany, j’étais loin d’imaginer qu’on puisse se trouver nez à nez avec un pareil gugusse. C’était l’apothéose. En plus de cela, il chassait avec une espèce de guirlande ambulante qu’on avait peine à deviner ce que c’était réellement ! En tout cas, l’animal en imposait par sa stature et son ronronnement étrange ! Ma foi, ces deux là alimentait bien ma curiosité.

J’avais envie de rencontrer ce fameux Général sur le terrain: un personnage hors du commun s’exhibant avec ridicule. En tout cas il n’avait pas honte de ce qu’il était. Il n’était pas universel, coulé dans le même moule : celui de la société moderne. C’est le fait de sa différence qui le rendait burlesque au regard des autres car il fonctionnait différemment. Il était comme déconnecté de la réalité, celle-là même que nous imposait la société. Il est vrai que ses habits étaient d’un goût douteux, je dois l’admettre.

Mais, en visionnant plusieurs fois d’à filée le DVD-RW, je le trouvais fort sympathique. En tout cas, j’aurais honte de me promener ainsi ! Il semblait sortir du Moyen-âge, de la préhistoire (enfin bref, il appartenait à une autre époque, à un autre monde).

Ceci étant, le jour suivant je me décidai à rencontrer le mystérieux homme de Cro-Magnon. J’avais trouvé une excuse bidon pour ne pas aller au boulot ce jour-là. J’avais absolument envie d’écrire un article sur lui, non pour le ridiculiser mais parce que je le trouvais ma foi drôle et sympathique… ! Comme disait souvent mon père : « Nous sommes tous ridicules au regard de l’autre… La part du ridicule se trouve en chacun de nous… ». Et je comptais bien semer la surprise en exploitant ce filon pour ma prochaine émission qui s’intitulerait : « je suis ridicule et je vous emmerde ! ». C’est sûr que l’amour pour les animaux dirige parfois les êtres humains à des folies…

 

Emorizo, alias F. Ménez

 

Copyright © Tous Droits Réservés, Extrait de « Rendez-vous insolites avec le destin » (2009), F. Ménez-2023

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