Ar Sparfell

Histoire de Landerneau

Photo de Landerneau (source: ville de Landerneau)

Landerneau, le 9 juin 1893

Un riche bourgeois a hérité d’une vieille maison familiale : une ancienne auberge datant de la fin du 16ème siècle, dans le pur style gothique. D’ailleurs, on retrouve les fenêtres aux linteaux délardés en accolade avec un appui saillant.

Il décide de rénover ce qui fut le lieu de réunion des « amis de la Révolution française ». En voulant déplacer une armoire, il tombe sur une porte dérobée. Il l’ouvre tant bien que mal. Au bout d’une heure, il découvre un escalier qui descend dans les profondeurs habitées par la pénombre.

Le lendemain matin, curieux et intrigué, il s’aventure – marche après marche – armé de sa lanterne. Il devine une galerie qui se met à nu : des gravures anciennes rongées par le temps. Ainsi, il parcourt les veines sinueuses sous la ville de Landerneau.

Un an suffit pour que Gaétan Le Gall mette à jour les arcanes de quelques galeries souterraines qui dessinent une sorte de toile d’araignée organisée autour d’une salle commune. Chaque galerie est dissimulée derrière une porte. D’ailleurs, la grotte se trouve, sans le savoir, sous le cimetière.

Logonna-Quimerc’h, le 3 Janvier 1961

Le jeune Gweltaz hérite de sa vieille tante Agathe – décédée pendant un sommeil serein – d’une bague qui est restée dans la famille depuis des temps très anciens.

Gweltaz est fasciné par cette bague sur laquelle est inscrit : « Diskregiñ Loar Landerne » Son entourage lui confie que c’est du breton. Cette langue est une poésie à elle toute seule, un soupçon de parfum enivrant de culture millénaire. Il a soudain envie de connaître la langue de ses ancêtres bien que le français soit imposé… Il se dirige vers la bibliothèque centenaire. Il s’empare du vieux dictionnaire «Celto-Breton ou Breton-Français par Jean François Marie Maurice Agathe Le Gonidec ». Il trouve enfin la traduction de l’inscription : « Décrocher la Lune de Landerneau » Assez énigmatique… ! C’est d’ailleurs à ce moment-là et par cette porte qu’il est entré dans le monde fascinant de la science humaine.

Vannes, ces jours-ci

Aujourd’hui, Gweltaz est historien, spécialiste de la Bretagne, et philologue. D’ailleurs, il enseigne aux jeunes étudiants la philologie : une science qui nous emmène dans une autre dimension, dans un autre temps. Les anciennes écritures Celtes, notamment le Breton, font partie de ses cours. Professeur hors norme de langue ancienne, Gweltaz passe la plupart de son temps à étudier des textes anciens pourtant très rares. Cette science est née grâce à des noms restés célèbres dans l’histoire comme Jean-François Champollion pour ne citer que lui. La voie s’est imposée à lui comme un bon bol d’oxygène.

Cela fait près de vingt-cinq ans que Gweltaz sillonne la Bretagne, l’Irlande, le Pays de Galles et autres pays celtiques. Il est fervent défenseur de la riche culture bretonne par ses traditions, sa musique entre autres. C’est son pays, sa chair et son sang. Il fait partie des spécialistes mondiaux des Celtes et des Bretons plus particulièrement. Il connaît peu cette région riche en contes et en légendes. Car, comme il aime à dire : « Chaque jour vaut son pesant d’or. L’histoire est peinte de secrets à découvrir… »

Ces jours-ci, sa bague semble serrer son doigt. Et, fait étrange, elle lui chauffe la peau. Elle lui parle. Elle lui susurre comme une bise légère des mots. Elle l’invite à se recueillir sur la tombe de sa tante Agathe.

Hormis l’inscription « Décrocher la Lune de Landerneau », le bijou suscite de nouveau de la curiosité. Dès lors, Gweltaz cherche à comprendre l’origine de la bague… Sa tante avait reçu ce présent de son illustre mari : Gaétan Le Gall. Cette bague n’est pas arrivée par hasard dans la famille. En fait, l’ancêtre du philologue l’avait reçue de la main d’une apparition ectoplasmique : un pieux chevalier. Cela a nourri son imagination et continue à le guider. Cependant, une rumeur circulait comme quoi son arrière grand-oncle était friand de champignons hallucinogènes. D’ailleurs, il s’avéra qu’il cultivait dans son jardin des psalliotes, la girolle et la fameuse amanite tue-mouche. Cette dernière a malheureusement des effets nocifs : les illusions psychosensorielles lors de l’ingestion.

D’autres membres de la famille racontent qu’en fait la bague fait partie du patrimoine familial depuis des temps séculaires. Ce serait soi-disant un riche chevalier amoureux fou d’une de ses ancêtres qui lui aurait offert ce bijou en or massif – vingt-quatre carats –.

D’ailleurs, c’est en relisant l’inscription sur la bague que l’idée lui est venue : décrocher la Lune de Landerneau. Pourquoi pas ? Est-ce un moyen de sauvegarder la mémoire de sa tante Agathe ?

Arrivé à Landerneau, Gweltaz fait un petit détour à l’église Saint-Thomas de Canterbury. C’est là qu’ont eu lieu les obsèques de sa tante. Puis, au bout de trois quarts d’heure, il décide de prendre le chemin menant au cimetière à quinze minutes de l’église.

Il marche entre les tombes… et il rejoint allègrement le caveau familial. Un sentiment fort parcourt chacune de ses cellules. Voilà bien vingt ans qu’il n’a pas mis les pieds dans ce sanctuaire. Il se recueille naïvement sur la tombe. Le caveau est un des plus vieux du cimetière. Il appartient à la famille depuis des lustres. Le premier locataire est le père même de son arrière grand-oncle Gaétan Le Gall.

Dehors, la pleine lune se fait toute discrète sous le rideau de la nuit. Puis une intuition lui titille les neurones : il lève les yeux ! Il aperçoit un croissant de lune au dessus d’une croix en pierre avec les armoiries de la famille. Le croissant baigne dans le halo de la lune par un jeu subtil comme pour attirer l’attention à ce moment précis. Gweltaz a faim à l’idée de toucher ce croissant lumineux. Il a comme par instinct la conviction qu’il faut le décrocher. Il escalade le mur de manière acrobatique. En ce tournant dans le sens des aiguilles d’une montre, il enclenche une mécanique bien huilée !

Puis sous son poids, le sol s’émiette. Il s’en sort indemne de cette chute de près de dix mètres. On n’y voit pas à plus de deux mètres. Là-haut, le caveau laisse échapper une légère luminosité.

Prisonnier de cette fosse, il hurle en espérant que quelqu’un l’entende. Avec le temps, ses yeux s’habituent à l’obscurité. Il tâte l’espace. Soudain, il sent une roche humide. Il avance prudemment… Puis, il voit une fine raie lumineuse au sol. Il s’approche. Il trouve une poignée. Il ouvre ce qui semble être une porte. Derrière, se trouve une galerie. Etrange car dans ce qui lui semblait un désert se révèle le billet de sortie, le chemin vers la surface espère-t-il ! Soudain, la curiosité l’affame. Il a faim de savoir où mène ce long couloir… Les toiles d’araignée donnent corps à un décor glauque. Puis, une chauve-souris le frôle. Il a juste le temps de protéger son visage.

Le temps passe sans laisser de place à un sentiment temporel : depuis quand marche-t-il ? A ce moment-là, il prend conscience d’un fait : l’inscription sur la bague est la clé du monde souterrain. Pourquoi la bague l’a amené jusqu’aux tréfonds de Landerneau ?

Tout à-coup, un escalier habille la galerie d’un sang bleu glacial… La lumière se fait rare. Il descend les marches, un peu dépourvu de ses sens : il tâtonne le sol avec ses pieds et les murs avec ses mains. Il ne cesse de descendre. Il est fatigué. Il sent du bout de ses doigts la roche humide et argileuse. Au bout, une lueur plus intense naît de la pénombre. En s’approchant, il découvre un édifice qui lui semble être une sorte de sarcophage vêtu de la lumière du ciel, à une cinquantaine de mètres de la surface.

Le sarcophage massif règne en maître dans cette caverne en profondeur. Une atmosphère étrange se dégage de ce lieu empreint d’un certain respect et peint d’une odeur douce et délicate. Il ose caresser le granit qui abrite la dépouille d’un chevalier. En effet, le granit sculpté laisse apparaître un homme âgé avec une longue barbe. Son épée est posée là sur toute sa longueur liée depuis des temps avec le corps en pierre. D’ailleurs, ce visage ne lui est pas inconnu… L’a t-il vu sur des anciens manuscrits ?

En posant sa main sur la crypte, il garde un contact intime avec la pierre… ses yeux accompagnent sa main.

Puis, il découvre, émerveillé, des caractères primitifs : des lignes comptant quelques traits, inscrits au-dessus et au-dessous des lignes. De plus, il constate des points. Il n’y a aucun doute : il s’agit d’inscriptions en runes. Des lettres Oghams pour être exact. Au 2ème siècle apr. J.-C. les Celtes de Grande-Bretagne et de l’Irlande utilisèrent ces signes d’écriture. Bien que ce ne soit pas systématique, les inscriptions en Ogham sont le plus souvent gravées en l’occurrence sur des pierres tombales. Mais, ce que Gweltaz ne comprend pas, c’est cette prolifération de runes. Un peu comme sur les sarcophages Egyptiens. Est-ce un trésor oublié par les temps ? Certains chercheurs ont avancé qu’il s’agissait somme toute d’une adaptation de la langue secrète des Druides. Comment imaginer qu’un chevalier ait les honneurs des Druides ? Etait-ce un héros qui malgré lui a disparu de la Marche de l’Histoire ?

C’est assez déroutant, quand on sait qu’aucun récit, aucun texte d’aucune sorte ne nous sont parvenus directement du temps des chevaliers. Les Druides bannirent l’usage de l’écriture. En fait, ils en faisaient un usage purement interne. Il y a derrière cette interdiction toute une philosophie. L’écriture met un terme à l’évolution des choses, elle les fixe, leur donne une forme définitive. Ça ne peut donc être l’œuvre des Druides. Le tombeau est unique en son genre. Tout un symbole ! Qui se cache derrière ces runes ? Que voulait nous communiquer l’auteur ? Pourquoi autant de mystère ? Est-ce un Druide-chevalier ? Etrange, même si on connaît assez mal la culture celtique dans son ensemble. En tout cas, ces lieux inspirent un sentiment de paix… Autrefois, les veines sinueuses des souterrains landernéens devaient être autant de lieux de cultes ou autres…

Pourquoi avait-on figé l’histoire du chevalier à corps la pierre ? Il devait être un personnage important dans la société ou dans le cercle très fermé des Prêtres celtes…

Le message dit : « Ici gît Chevalier l’Epervier : héros de plusieurs combats, qui par sa bravoure, ont redoré l’armoirie du duché de Bretagne… » La Bretagne a en effet essuyé plusieurs attaques de l’extérieur pendant le Moyen-âge. Puis avec le temps, elle s’est forgée un caractère. Elle est ainsi devenue un duché à part entière.

Etrange, en regardant de plus près la main droite du chevalier, Gweltaz constate avec stupéfaction qu’il manque quelque chose : un bijou. Tout lui revient : son ancêtre Gaétan Le Gall qui aperçoit le fantôme d’un chevalier lui offrant une bague…

Il retire la bague de son doigt. Elle est peut-être la clé d’une porte ! Qui sait ?

Soudain, elle donne vie à la pierre une fois mise au doigt du chevalier de granit ! Une présence venue du fond des âges laisse glisser un courant d’air frais lui parcourant chacune de ses cellules. Puis, une voix sort du sarcophage, la pierre s’anime de plus belle. Gweltaz distingue une lumière jaillir du tombeau. Elle se matérialise en un fantôme qui se lève peu à peu. Il fixe le philologue, abasourdi. Ce dernier est prêt à partir au quart de tour. Il semble dans un rêve éveillé. Il ne mesure pas l’importance de ce phénomène paranormal. Il est en état de choc. Plus rien ne fonctionne. Il est paralysé. Mais, le vieillard, qui lui fait maintenant face, le rassure de sa voix mélodieuse, caverneuse et envoûtante. Puis comme une vieille mécanique, le chevalier lui confie : « Les légendes ne sont que des légendes pour nous faire oublier petit à petit l’essentiel. Ce n’est pas un hasard si le caveau par où tu es entré jeune chevalier mène à moi. Tes aïeux n’ont fait que suivre mes instructions. Le caveau se situe au dessus d’un ancien lieu de culte. Je suis si content de te revoir ma chair et mon sang ! Voilà bien des siècles que je t’attendais… Il ne reste plus qu’à suivre ton destin… »

Soudain, le chevalier l’Epervier – Ar Sparfell en breton –disparaît comme un nuage qui se dissipe. La pierre se transforme : l’épée devient réelle. Grand connaisseur de la légende d’Artus et des chevaliers de la Table Ronde, Gweltaz tente de s’approprier l’objet de la tentation. Un peu comme si le scénario était écrit d’avance. A peine a t-il effleuré l’épée qu’il s’évanouit…

Ses sens endormis, Gweltaz devine un homme de grande taille, mais flou. Il pense qu’il a enfin trouvé de l’aide pour sortir de cette grotte, de ce drôle de rêve. Le projet d’étudier le sarcophage plus en détail fourmille dans son esprit. Mais, pour le moment, il est engourdi, écrasé par un je-ne-sais-quoi !

L’homme se dresse devant lui et…

Et, il lui glisse quelques mots avec un sourire masqué : « Alors, on fait la sieste… ! »

Gweltaz entend des sons inhabituels : une fête semble avoir lieu tout près d’ici ! C’est vraiment très étrange comme sensation…

« Lève-toi, Chevalier Sparfell… Il est temps de partir ! », Continue sur le même ton, l’homme à la longue barbe et appuyé sur sa canne. Il est déguisé dans un accoutrement du moins original. Puis, Gweltaz reprend doucement ses esprits. Il prend conscience, au bout de dix minutes, qu’il se trouve dans une chaumière. Le décor est pittoresque. C’est une vieille maison bretonne datant du Moyen-âge ! Il est peut-être dans le village de Ploerdut, dans le centre de la Bretagne.

Comment expliquer son voyage de Landerneau à Ploerdut ? L’homme est sûrement un figurant ! Ça lui revient : l’homme joue en toute probabilité un Druide. Comment n’a t-il pas remarqué son habit plus tôt ? On organise chaque année, une fête moyenâgeuse dans ce village morbihannais.

Il a dû perdre connaissance, rêver qu’il était encore à Landerneau. Pourquoi l’homme l’a-t-il emmené jusqu’à Ploerdut alors qu’il… Il ne sait plus. Il a la mémoire floue, un peu comme un rêve qu’on croit réel. Il ne sait plus où il est. Un scénario se trame sous ses yeux, inconscient de son état.

Gweltaz « Chevalier Sparfell » sort de la chaumière, suivi apparemment d’un Druide…

Emorizo, alias F. Ménez

Copyright © Tous Droits Réservés, extrait de Rendez-vous insolites avec le destin (2009), F. Ménez-2017

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